Fragment d'un carnet,
Suite à l'exposition Anselm Kiefer - l'alchimie du livre - BNF - 2015
Lorsque je me retrouve face à une œuvre d’Anselm Kiefer, je suis dans la conscience d’une transcendance éveillée que les limites de la pensée m’empêchent de clarifier, de nommer.
Je demeure dans la puissance d’une présence. Simple force d’une rencontre à accepter comme telle.
Pénétrer le monde d’Anselm Kiefer, c’est pousser la porte d’un livre que je n’ai pas encore écrit et dont son œuvre m’en révèle le tracé. Il touche le centre de cette énergie qui m’alimente. Rien ne sert de vouloir tenter d’analyser à perfection cette traversée, qui chaque fois me bouleverse, car à peine ébauchés les mots deviennent des pattes de mouches grossières sur la paroi satinée de son monde.
Lorsque je me suis retrouvée dans cette bibliothèque privée, aux livres gigantesques, aux matières nouées, fusionnelles, composites ; où des livres aux dimensions monumentales donnaient l’envie de faire de notre peau le parchemin de ces feuilles destins, j’ai soudainement eu l’intense désir de me mettre en quête d’un livre à écrire à taille humaine, comme si chaque page était le drapé d’un lit qui accueillerait le corps en son encre.
Prendre la plume à une tout autre échelle. Ecrire sur des pages immenses comme des vagues blanches pour tenter de surfer, comme autrefois, sur ces grands tableaux noirs de l’enfance sur lesquels la craie crissait, dans le silence des peurs, des rêves et de tout ce que la vie en devenir esquissait.
S’emparer de cette plume-là... Matières vertigineuses...
Face à un tel carnet…J’imagine déjà l’inconfort du corps. Comment se tenir. Oser gravir. Quelle posture prendre pour que la continuité des lettres ne devienne pas une douleur physique qui altèrerait le flux naturel des mots en devenir ?
Tout est à revoir dans notre façon d’entrevoir, de percevoir. Voir... Une autre destinée.
Ces livres gargantuesques sont comme des ailes de plomb dont la légèreté aérienne ne peut que nous conduire à la lisière du réel, aux confins de l’imaginaire. Des seuils où les matières s’enchevêtrent, à nous offrir des mondes aussi familiers qu’étrangers.
Je rêve déjà de ce lit aux pages déployées sur lesquelles je coucherai des mots nouveaux, à faire fi de pareils défis. Un livre à ciel ouvert vers l’intérieur de l’être.
Tous droits réservés | Michèle Gautard
Tous droits réservés | Michèle Gautard