Résumé du roman - Le goût de l'autre
Un roman aux frontières des mondes, des genres, de l’être. À les traverser ou à rester sur sa rive.
Le destin croisé de deux femmes, entre Paris et Tokyo, où chacune explore les limites, les forces de l’amour. De la passion au deuil. Du désir à l’amnésie, en passant par l’attente, l’absence, un trop plein de présence ; jusqu’à atteindre ce seuil où pas même l’imaginaire aurait pu leur murmurer qu'elles finiraient par le franchir.
La douceur ou la douleur du réel. Avoir aimé à perdre, à retrouver, sans en savoir plus.
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Divers extraits du roman - Le goût de l'autre
(…)
Corps endormi
Que fais-tu de ta vie
Pendant que l’absent
Ne pas se laisser engluer dans les sables mouvants d’un imaginaire débordant
Faire le vide
Caresses intérieures
Sa gorge se noua
Elle empoigna son stylo
Ses doigts se cramponnèrent au métal blanc
L’encre coulait sans rien dire
Le souffle de l’homme
Elle relâcha son stylo
Et quitta précipitamment sa table de travail
D’instinct
Elle se dirigea vers la fenêtre et l’ouvrit en grand
L’air s’engouffra sous son corsage
Un long soupir s’échappa
Funambule
Elle avançait
A tâtons
Le cœur en plein vide
Les lumières de la ville
Jochen
Un besoin de le nommer
Les chairs brûlaient sur elles-mêmes
Mouvement
Une envie de caresses
Elle referma brusquement la fenêtre et se précipita dans la pièce qui lui servait d’atelier. Une toile. Encore inexplorée. Un pinceau. N’importe lequel. Des formes. Des couleurs. Recouvrir. Circonvolutions voluptueuses. Superpositions harmonieuses. Mélanges chaotiques. Gestes mécaniques. Reprendre souffle. Le pinceau effleurait. Caressait. Par endroits la main forçait le trait. Les poils de sa brosse s’écrasaient sur la toile muette avant de sombrer dans le repliement de leur propre mouvement
Le téléphone sonna
Son cœur s’arrêta
L’imaginaire à pourfendre le réel
Qui pouvait l’appeler à pareille heure ?
La voix tremblante
Elle décrocha
(…)
(…)
Violaine but tout le contenu de son verre et le reposa énergiquement
Comme un signe d’approbation
Un court silence s’établit entre les deux femmes
Mieko voulait avoir la certitude qu’elle ne serait pas interrompue
Tout avait commencé
Une trentaine d’années auparavant
A l’aéroport de Tokyo
C’était son premier voyage en Europe
Elle partait seule pour Paris
Dans la salle d’embarquement elle croisa le regard de Kimawata
Son cœur lui murmurait la rencontre d’une vie
Un destin scellé
Elle monta dans l’avion oubliant cette pensée
Le hasard la plaça à côté de lui
14 heures de vol leur permirent de faire connaissance
Ni l’un ni l’autre ne réussirent à dormir
Ils parlèrent pendant tout le voyage
« Arrivée à Paris. J’étais amoureuse. Quelque chose m’effrayait dans son regard. Mais ses mots me transportaient. Il me parlait de son art. De ses toiles. De cette passion qui l’animait. J’étais subjuguée. Nous nous sommes donné rendez-vous sur les Champs-Élysées. Nous ne sentions pas la fatigue. Nous avons marché de l’Arc de Triomphe à la Concorde. Sur cette grande place il m’a embrassée. Dans une valse fusionnelle nous avons déambulé dans les rues. Ce merveilleux Paris nous accueillait. Nous échappait. Nous avons marché sans évaluer la distance ni apprécier la beauté des lieux. Nous étions en nous-mêmes. Quelque part. Là où jamais je n’avais osé m’aventurer. Nos regards avaient la couleur d’un ciel pur. La communion de nos souffles nous racontait la lumière naissante de l’amour. Nos corps aimantés savouraient la douceur des matières que nos mains caressaient. Nous étions à l’origine du monde
Devant le café de Flore il demanda grâce et m’offrit une coupe de champagne. Les bulles me piquaient le gosier. Je n’aimais pas cette sensation légèrement amère. Presque trop agressive à mon goût. Mon palais n’y était guère habitué. Mais ce pétillant me donnait de l’audace. Une audace que je n’avais jamais eue. Nous avons ri. Beaucoup ri. J’ai à peine vu Paris
De retour à Tokyo. Il m’a fait visiter son atelier. Celui-là même que vous connaissez. Au milieu de ses toiles j’avais le vertige. J’étais au cœur d’un monde que je ne comprenais pas. Le moindre tracé m’effrayait. Leurs mouvements me donnaient la nausée. J’avais peur. Soudainement peur de ne pas être à la hauteur de ce destin que Paris avait inscrit en mes veines
Son univers était terrifiant. Mais d’une beauté déconcertante. J’étais seule. Pétrifiée au milieu de nulle part. Emmurée dans un inconnu dont chaque fibre cherchait à faire disparaître l’homme que j’avais rencontré. Je m’efforçais d’adoucir cette vision en pensant à toutes ces images rapportées de Paris. Cette ville étrangère n’était plus qu’une carte postale
(…)
Ce fut là. Dans cette atmosphère singulière qu’il me parla pour la première fois de son rêve »
(…)
Dans la salle d’embarquement où elle se trouvait
Elle ne voyait rien d’autre que le regard de Mieko
Croisant pour la première fois celui de Kimawata
Si les lieux pouvaient raconter
La matière absorbe
La mémoire silencieuse s’y love
Une à une
Les couches de sédiments
A ensevelir les serments
La douleur
Le bonheur
De tous ceux qui avant
L’histoire de Mieko altérait son regard sur sa propre histoire
Sa persévérance n’avait pas empêché Kimawata
Là où sans elle
Où nul ne saura
Seul son acte
Comme si tous ses pas
Sa présence silencieuse
Une vaine traversée
Se dérober
A vacuité
A faire de l’amour une ombre muette
Aphone la mémoire
Pas le moindre sursaut des chairs
Pour redonner l’envie de rebrousser chemin
A celui dont la main
Vers son mouvement éteint
A transgresser
Tout ce que le sacré
A faire dire à tous les sacrifiés
Quelle que soit sa grandeur
Aucun amour
Ne se donne pour rien
A sa façon
Une même opiniâtreté
Mais qu’avait-elle véritablement vécu
Une décennie durant
Hormis son temps à lui
Aimer comme jamais
A présent elle savait
Vivre l’éternité
Là où seul l’instant nous ronge
Les vieux sages d’orient affirment que l’on vient au monde pour un seul visage
Elle s’était accommodée de cet adage
L’amour ne rend pas heureux s’il demeure juste un songe
N’est-il pas né
D’un regard
D’un visage
D’une peau
De ce visible
Qui donne l’envie naturelle du toucher
Et toutes ces matières
Qui sans cesse nous murmurent
L’état des choses
Comme cette force mystérieuse qui pousse tous les fleuves
A répondre à l’appel du grand large
Sans se soucier des adages
Quelle folie
Nous incite à nous exiler
Sur des terres arides
Où l’on n’oserait s’aventurer
Sans l’insidieuse ténacité de croyances édifiées
Le fond de l’être
A nous redonner
Le fond de l’être
A raviver
Le goût de l’autre
Ce goût
Plus fort que soi
Plus fort que le temps
Plus fort que les chairs
Plus fort que la mort
Ce goût
Qui infuse en nous
A féconder nos papilles d’une succulence éternelle
Le maintenir
En son écrin
A la surface
Ce goût
Altéré
A en faire oublier
Tout ce qu’il a été
Le vent égratigne
La montagne s’abat sur nous
Notre cœur bat encore
« Inventer une histoire
Là où il n’y en avait pas
Là où il n’y en aurait jamais »
Oublier cette douleur étrangère
Similaire à nos chairs
S’imprégner
De ce goût si rare
De ce goût qui en nous
La saveur d’une essence oubliée
Être là
Immuablement là
Pour lui
Et pour lui seul
« A donner aux chairs l’endurance de la pierre »
Une à une
Toutes ces années inondaient cette salle d’embarquement de Tokyo Narita
A faire tarir
Un océan de désirs
(…)
(…)
Avant de quitter l’avion
Il lui avait remis sa carte
Julien Léger
Il habitait Paris
Seule la Seine les séparait
Au dos de sa carte
Un lotus blanc
Aux pétales presque transparents
Le tableau original se trouvait au musée du Palais à Pékin
Un anonyme de l’époque de la dynastie Song
Il n’eut pas le temps d’en dire davantage
L’avion se vidait
Il fallait suivre le mouvement
Les rangées derrière n’auraient pas la patience
D’une minute supplémentaire
Une hôtesse le fit passer par l’autre couloir
Pour libérer le flux
Son allée à elle était bloquée
Elle en avait profité pour contempler le lotus blanc
Des ailes de papillons
Tournées vers le soleil
Corolle de lumière
Un diadème autour d’un cœur ouvert
Lorsqu’elle était revenue à leur monde
L’homme avait disparu
Le lotus flottait au fond de son sac
Sa valise arriva dans les dernières
Aucune main n’était venue se poser sur son épaule pour lui dire au revoir
Julien s’était volatilisé
L’avait-elle inventé ?
Elle fouilla dans son sac
Un instant de trouble
Une panique silencieuse
Le lotus était là
Elle s’aventura à scruter une dernière fois la salle
Il y avait beaucoup de monde
Personne d’autre
Elle se dirigea vers la sortie
Ne plus se revoir
Un cri
Léger
Etouffé
Qu’est-ce qui lui prenait ?
Baissé de rideau
La pièce était finie
Imaginaire fertile
Il lui fallait guérir de cette maladie chronique
Une voix
Un murmure
Jochen
Toujours là
Le Terminal 2D
A quelques pas
La peau du souvenir
Jamais ne cicatrise
Les pétales se referment
Les lotus dorment en paix
Certains miroirs font tellement de bien
Un amour solitaire s’agitait derrière une clôture
Fils de fer barbelés
A la sortie
Son taxi l’attendait
(…)
(...)
Il arriva à sa table
Elle le regarda comme on regarde un étranger
Il restait muet au pied de son regard éteint
Elle prit la main de l’homme qui l’accompagnait
Les regards cherchaient à dire
Mais aucun n’arrivait à franchir
Ce fut l’homme qui s’immisça dans l’intimité de ceux qui s’interrogeaient
- Que voulez-vous ?
- Violaine
- Comment connaissez-vous mon nom ?
- C’est moi. Jochen
(…)
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