Résumé de l'oeuvre - Encore un jour, l'éternité
Depuis la nuit des temps, elle a toujours eu les cheveux blancs. Le secret des vieux chênes à son oreille murmuré. Tout l’amour du monde était là. À ne rien vouloir de plus.
Elle s’appelait Marcelle. Elle avait 99 ans. C’était ma grand-mère. Elle a fini par quitter ce monde. Quand un ange s’éloigne et nous laisse ses ailes !
Ce carnet, écrit comme un long poème, est la trace de nos derniers instants. Ultime voyage…jusqu’à cette extrême lisière où même le plus grand amour ne peut plus rien retenir.
Le dernier souffle appartient à celui qui le porte.
(Extraits)
Ce soir je vais mourir/Cela m’est arrivé/Une multitude de fois/Je ne m’en souviens pas
Au-delà/Emportons-nous la graine/À semer dans l’ailleurs/Cet amour qui nous tient ?
Être auprès de toi/C’est comme être au bord du Gange/À mi-chemin/De tout ce qui échappe
L’enfance ne mûrit jamais/Sinon elle disparaît
Tous droits réservés | Michèle Gautard
Divers extraits de l'oeuvre - Encore un jour, l'éternité
Été 2010
La racine de l’enfance
À bout de souffle
Mais encore profondément enracinée dans sa terre
Dans l’instant qui perdure
Une à une les décennies
Depuis la nuit des temps elle a toujours eu des cheveux blancs
Alors
Ce 10 juillet
Ce jour où tout a commencé
Une simple épreuve
Elles furent si nombreuses
Elle a traversé
Surmonté
Un à un les morts
La racine
Toujours là
Le secret des vieux chênes à son oreille murmuré
Ce 10 juillet
Un appel
Elle ne reconnaît plus
Elle a perdu la notion
De l’espace
Du temps
Impossible
Elle a tenu
Jusque là
À l’aube de la centaine
L’esprit indemne
Encore une année
À peine
Juste un sentier
Pour elle qui a parcouru
Ce 10 juillet
Un mauvais tour
Le destin
Elle en a vu d’autres
Bien d’autres
Cet appel
Un peu avant 16h
Tu allais mal
Déshydratation
Depuis quelques jours il faisait chaud
Mauvais souvenirs
L’été 2003
Le grand-père
La canicule
Sept ans après
Non
Pas toi
Tu ne bois pas assez
Il va falloir que tu fasses l’effort
L’eau
Vitale pour le corps
Ce corps qui t’encombre
Mais auquel tu t’accroches
Sans vraiment le vouloir
Sans comprendre ce que tu fais là
Encore là
Tes interrogations
À murmurer
L’inutilité d’atteindre pareil rivage
Le grand âge
Lassitude
Et pourtant
Inébranlable
Ta résistance
Déshydratation
Perte de mémoire
Un signal
Aussitôt
Je suis venue
Tu étais dans le réfectoire
Avec ta perfusion
Ton pull gris
Ton inséparable
Ils t’avaient mise là
Il y faisait plus frais
Ta chambre
Trop exposée
En plein soleil
Le salon
Climatisation
Mais bien trop bruyant
Pour toi
La solitaire
Ce salon où ils vous mettaient tous
En attendant
Le réfectoire
Sa fraîcheur
Son silence
Elles te connaissaient bien
Un semblant de quiétude
Pour toi
Seule
Celle qui jamais n’osait
Ne réclamait
Toi qui chavirais
Elles voulaient que tu sois bien
Ton état
Soudainement si précaire
Inquiétait
Je me suis approchée
Qui allais-je rencontrer ?
Je t’ai embrassée
Comme à l’accoutumée
Tu ne m’as pas reconnue
J’ai pleuré
Tu n’étais plus de ce monde
Silencieuse
Je t’ai pris les deux mains
Toi
Si familière
Ton regard à la lisière
Quelque chose nous séparait
Pour la première fois
Cette chose t’emportait
Je résistais
Nous deux
Seules dans cet immense réfectoire de la maison de retraite où tu vivais malgré toi
Depuis quatre années
Bien trop longues
La vie collective
Tu ne t’y es jamais faite
Nous étions là
Ensemble
Sans l’être
Enfermées
Au cœur de cet après midi de juillet
Dans ce no man’s land
Nos mains enlacées
Tu étais loin
Très loin
Incommensurable distance
Comme en partance
Je ne voulais rien savoir
Tes deux mains ont serré les miennes
Tu m’as caressé les paumes
Et puis soudainement
Comme un miracle des peaux
Tes mots
« Oh !
Les poèmes
Oh !
Les poèmes »
Je les avais écrits
Tu les avais lus
Le fil qui te ramenait
Le souvenir de cette poésie transformait ton regard
Son visage te revenait
Tu la revoyais
Elle
Et elle seule
Je la contemplais dans tes yeux
Ils brillaient
S’animaient
Tu me parlais d’elle
Hymne admirable
Douceur d’un cœur qui retrouvait sa trace
J’avais beau te dire
Qu’elle
C’était moi
Tu ne voulais rien entendre
Il n’y avait qu’elle
Ta petite fille
Comme si tu voulais que j’en sois fière
Moi
L’étrangère que tu vouvoyais
Lorsque tu l’évoquais
Ton visage s’illuminait
Ton sourire revenait
Je te retrouvais
Impossible de te dire
Les larmes du pire
Tu as ainsi continué
Et puis
Tu l’as oubliée
Après un court silence
Tu es repartie
Vers un autre monde
(...)
Dans le RER qui me ramenait sur Paris
Tes mots me revenaient
Pêle-mêle
Comment allais-tu payer cette nuit d’un gîte particulier alors que tu n’avais pas un sou sur toi ?
J’avais beau te dire qu’à la résidence ils se chargeraient de tout
Tu voulais garder le contrôle de ta destinée
Par moments tu t’interrogeais
Une envie de comprendre
Là où le savoir
Et ses obstacles
Tes derniers rituels
Laissés derrière toi
Etais-ce l’heure d’aller au réfectoire ?
Entre les examens et les piqûres
Tes repères se diluaient
Tu t’y accrochais
Tu semblais soudainement regretter
Ces moments routiniers
Même ceux qui te pesaient
Comme ces dîners où il fallait se hâter pour laisser place nette au deuxième service
Ces couchers au rythme accéléré
Toi qui dans ton temps avait su pleinement savourer celui du vivant
Tu devais désormais obéir à une cadence
Elle altérait ta nature
Sans cesse
Tu prenais sur toi
Tout cela
Indéfiniment
Un poids
Dans les fissures
Tu te confiais
Ces moments où ils vous couchaient te donnaient le sentiment douloureux qu’ils se débarrassaient d’une horde de corps devenus encombrants. L’un d’eux était le tien. Tu te voyais peu à peu disparaître dans cette masse informe où le temps absorbait toutes les différences sauf celle des cheveux blancs. Les portes ouvertes des chambres recrachaient les traits d’une ressemblance à outrance. Le néant à s’y méprendre. À s’y perdre. Et pourtant chacun en ses souvenirs. Les plus enfouis ressurgissaient là où personne ne les soupçonnait.
Histoires abandonnées le long d’une voie ferrée. Interminable voyage. Chacun en son sillage. Entre les rails. Une pierre. Un infime caillou. Il portait tout. Apprendre à voir au moment où l’on ne voyait plus. Que faire ? Hurler. Comme certains le faisaient. Jeter cette pierre aux visages de ceux qu’ils croisaient ou comme toi la garder enfermée dans sa paume à serrer si fort que le silence finissait par laisser filtrer la douleur
Effacer les souvenirs
Ne plus penser à rien
Regarder devant soi
Déchirante cette page blanche
Prête à recevoir ce point final qu’une main fébrile cherchait en ses forces ultimes à travestir
(...)
20 juillet
Comme si en apparence
Plus de danger
Ce jour là
Je n’y suis pas allée
C’était le premier soir
Depuis le fameux jour
Le téléphone nous a reliées
Juste un filet de voix
Éreintée
(...)
2 août
Ce soir-là
Je lui parlais d’un poème
Qu’elle m’avait inspiré
Grand âge
La douleur du rivage
Elle a trouvé cela beau
Mais pas bon
On ne peut pas comprendre
Ce que le temps
Il faut l’avoir atteint
Il faudrait peut-être ne jamais
On ne pense pas à cela
Lorsque le souffle
Un papillon qui butine
Tout change
Le jour
Où il nous murmure
Les prémices de son départ
Le grand âge
Un mauvais présage
Son visage était recouvert d’une lumière singulière
Elle était bien
J’étais là
Même si je disais
N’importe quoi
(...)
Avant de venir la rejoindre
J’avais poussé la porte d’une librairie
Les cris d’un autre temps
Et pourtant
Ailleurs
Autrefois
Un poète
Ses mots
Comme des graines
Sur mon chemin
« Dans notre prochaine existence
nous nous garderons bien d’être
homme ou femme
nous serons deux oies sauvages
volant haut
les neiges aveuglantes
les poussières rouges du monde
nous les regarderons de loin
comme si nous n’y étions
jamais tombés »
Le poème de Nguyen Khac Hieu
Racontait
Une kyrielle d’histoires
Toujours la même
J’avais tant envie de le lui lire
Et nos pas silencieux
La douleur du néant
(...)
Tous droits réservés | Michèle Gautard