Lettres namibiennes



Divers extraits du carnet de voyage - Lettres namibiennes


16 octobre 2012 - Paris 


Aéroport Charles de Gaulle

Terminal E

Salle d’embarquement

Vol en direction de Johannesbourg


Une escale 

Avant d’atteindre ma destination finale

Windhoek

Namibie


Il n’y a pas de vol direct depuis Paris

Pour cela

Il faut atteindre Francfort


L’histoire et ses traces

Nous avons les nôtres 


Johannesburg

Johannes

Mon dernier roman


Etrange résonance 


Je n’y avais jamais pensé 

Avant cet instant


Johannes

Silhouette résurgente 


Un autre roman 

Où un certain Jochen Böhme

Lui aussi usurpait d’autres traits

À se rapprocher du réel

Sans jamais l’atteindre 


D’une tissure l’autre 

Ce réel dans les fils de l’imaginaire

À finir par ne plus savoir 

Entre l’écrire et le vivre

Où suis-je


Moi seule

Dans cette salle d’embarquement

Sans Jochen

Sans Johannes

Juste un carnet blanc 


Le berceau de l’humanité 

Comme un rêve éveillé


Salle d’embarquement

Elles furent si nombreuses 


Ma vie 

Jalonnée de toutes ces atmosphères ouatées 


Porte L 30

Les prémices d’un chemin


Dans 10 minutes

Nous allons embarquer 


Interminable attente

Que ces quelques minutes restantes 


À 23h 

La plupart dorment

Mon corps me rappelle qu’il est l’heure


La voix des hôtesses 

Une force qui exhume 


Comment ai-je atterri sur ce siège

Où je vais m’endormir

Aussitôt le repas


Des heures 

Dans les nuages


Etranges futilités consignées

En ce début de carnet 


Etre là

C’est déjà traverser 



(...)



17 octobre 2012

Aéroport de Johannesbourg

Cette fois j’y suis

Après 10h30 de vol

Une nuit de sommeil

À la verticale


Comme cette écriture

Qui cherche l'éveil

Pour la première fois

Mes pas

Sur ce sol africain

L’Afrique du Sud
La chair des blessés

Parce que les couleurs

Dans la moulure des premiers pas 

Mon esprit s’y attèle

Atterrir

Passé les formalités

Rien ne semble avoir changé

L’Afrique

Je croyais y être

Mondialisation

J’attends mon bagage

Une foule fatiguée

Attend elle aussi

Un homme

Un badge autour du cou

Un chien en laisse

Circule entre les voyageurs

Un agent de sécurité en civil

Son chien

Genre Beagle

Me fait un instant douter


Il n’a pas la tête de l’emploi

L’homme laisse l’animal faire

Il suit son flair


Le chien s’attarde autour d’une femme qui attend sa valise
Il reste le museau collé au sac de toile
Qu’elle porte en bandoulière


Elle se demande

L’homme lui somme gentiment de l’ouvrir

Elle ne comprend pas

Il insiste

Fouille dans le sac

Pensant avoir trouvé

Quelques stupéfiants

Dont le chien semblait friand

Sans doute un chien stagiaire

L’homme n’y a découvert qu’un morceau de camembert

Le repas d’hier

Dans les airs

Une poire pour la soif

Sur cette terre étrangère

Pour cette française et son fromage

D’un terminal l’autre

Me voici dans cet aéroport de transit

À égrener les heures

Ici

Ressemble à ailleurs

J’avais imaginé une foule

Haute en couleur

Les visages

Les vêtements

Ici

Je pourrais être à JFK

Santiago du Chili

Ou tout simplement Paris

Comme si jamais partie

La distance et ses différences

À peine quelques nuances

Les instants passent

Comme des photogrammes

Se déroulant dans l’infinie torpeur

D’un mouvement incessant


Assise sur un banc

J’entends

J’attends

Je contemple


Le flux

Le reflux


Marée humaine


Impossible de lire

D’écrire

Il me faut saisir

 

J’ai beau me dire

Tu es à Johannesbourg

Le sentiment troublant

De ne pas avoir traversé


D’un vol l’autre

Même atmosphère feutrée

Où le temps se voit

Le souffle s’entend


Mon vol pour Windhoek se rapproche

Il va me falloir moi aussi

Me lever

Marcher

Devenir cette foule


L’après-midi s’amorce

S’étire

Entre deux états

Deux terres


L’attente commence à se faire sentir 

Mon arrivée matinale

Déjà si lointaine


Un crissement soudain

Me ramène


En face de l’endroit où je suis assise

Des voyageurs en partance

Protègent leurs bagages


Le film de plastique

Enrobe une à une les valises

Circonvolution perpétuelle


D’une valise l’autre

Même valse


Sur chacune

Un pansement empêche les plaies de devenir visibles


Aéroport de Johannesbourg

Et ce son strident


Sur ce sol

Quelque chose crie



(...)



Soir du 17 octobre 2012


Aéroport de Windhoek

La rupture


On descend de l’avion

Directement sur la piste


Je marche sur le tarmac

L’air est doux


Cette arrivée me rappelle l’île de Pâques


L’aéroport a perdu sa carapace de verre

Il est devenu un espace à ciel ouvert

Sans frontière

Entre le sol et les airs


Le chauffeur m’attend

Avec sa pancarte blanche


La voiture roule en direction de Windhoek

Je ne vois rien

Il fait nuit noire


La route n’est pas éclairée


Le paysage traversé tente de m’offrir quelques lignes

J’ai du mal à saisir

Je distingue à peine

Je regarde sans voir

Je m’accroche à la voie goudronnée


Seuls les phares du véhicule


Le chauffeur est silencieux

Je me dis que j’y suis


Chaque fois que j’arrive sur une terre

L’étonnement d’y être


Joie intérieure

Que procure l’ailleurs


Etre là

Dans la candeur exaltée des premiers pas

Comme un œil qui s’ouvrirait sur le monde


Et soudainement tombe

Ce voile d’ombres


Tout ce qui fut imaginé

À finir par se dissiper


Lorsque l’on part

On invente tout

Avant le départ


Des images

Pour nous rassurer


Pourquoi partir


Qui échappe aux pièges de l’imaginaire


Une fois sur le chemin

On cherche la silhouette

De nos traces rêvées


Cela ne dure pas

Juste le temps de déformer nos premiers instants
Au cas où


Cette fois la Namibie

Bel et bien


Nuit noire

La terre ne laisse rien transparaître

Comme pour me faire languir

Laisser le temps à mon imaginaire de pleinement s’endormir


Le chauffeur quitte soudainement la grand’ route

Et emprunte un chemin de terre


Peu à peu je m’enfonce


Interminable route de poussière

Je ne vois toujours rien

Hormis cette voie tellurique

Qui sous les phares


Sur les bas côtés

La force de la nature

Omniprésente

Au-delà du regard

Qui s’égare dans le noir


On arrive devant une barrière métallique

Une porte sur le chemin

À ouvrir

À refermer


La première d’une longue série


Dans le lointain

Une maison éclairée

Et quelques autres dans la pénombre


Cette fois

Nous y sommes


L’entrée du Lodge

La réception c’est le bar


Non loin de là

Les gens dînent

Tout se passe dans une même grande pièce


Et je me demande

D’où a surgi cette vie


L’accueil est chaleureux

Un verre nous est offert

C’est le rituel


On m’accompagne à mon Lodge

Je replonge dans l’obscurité


Seul le sentier de terre

Qui conduit à ma chambre

Je discerne


Nuit opaque

Tout alentour redevient silencieux
 

Je suis au cœur de quelque chose


Ici

La ville

Un souvenir



(...)



Après-midi du 19 octobre 2012 - Le parc d’Etosha


Je change de véhicule et quitte le Lodge avec le ranger 


La direction qu’il prend

Efface peu à peu la forêt d’arbres cendrés


La savane s’ouvre à l’infini

Vers cette ligne d’horizon

Où le regard guette 

Le moindre point dans le lointain


Infime mouvement

L’œil balbutie

S’égare

Dans cette immensité 


Je plisse les yeux

Une impression de voir mieux


Je croise mes premières girafes


Je m’agrippe à leur cou longiligne 

Qui tel un bateau ivre

Oscille entre les branches

Pendant que le reste du corps

Solidement arrimé à la terre 


Perchées sur leurs quatre membres

Elles grignotent la cime des arbres 

En nous observant du coin de l’œil


On ne sait jamais ce que les hommes 


Nous poursuivons notre route


Lentement

La savane


Les antilopes 

Les oryx

Rassemblés

Sous le seul arbre


Si les feuilles savaient 

Tout ce que l’ombre 


Un peu plus loin

Une colonie de zèbres

La tête enfouie dans l’herbe jaune


Moment paisible où cette faune herbivore 

Prend son repas 

Au fil de ses pas 


Chaque brindille 

Une victoire du vivant


Autour du point d’eau

J’aperçois les éléphants 


Le corps massif

Le regard immobile


Noyé dans l’immensité d’un épiderme rocheux

Cet œil vif 

Insaisissable

Me fait penser à celui d’un vieux sage 


Et cette trompe 

Qui sans relâche

Poursuit sa tâche

À puiser des réserves pour la route 


Le ranger me dit

Qu’ils stockent jusqu’à 100 litres


Une poire pour la soif 

Jusqu’au prochain point d’eau



(...)


 

Soir du 20 octobre 2012  - Etosha et le lac salé 


Je repense à cette traversée du parc

Un à un 

Les animaux 


Leurs empreintes


Je redessine 

Cette longue route 

Qui mène au lac salé


Plus nous en approchons 

Plus la vie animale se raréfie


Nous avançons vers un point

Où peu à peu toute vie s’éteint


Une immense pellicule blanche

Craquelée

Sablonneuse

Infinie


Notre véhicule s’arrête à la lisière


Une interminable corde 

Retenue par des pieux

Enserre les contours du lac asséché


L’appel du grand large

Où tous les mirages 


Cette blancheur étouffante

Enivre le regard


Sur les rives du néant

Mes pensées s’égarent

Au-delà du raisonnable


Mon esprit s’aventure

Au milieu de cette étendue

À contempler terrifiée 

Ce minuscule point noir 

Que dessine mon imaginaire 


Un homme 

Solitaire

Egaré

Au cœur de cette vastitude 

Qui pendant des kilomètres

Avancerait vers cet horizon blanc

À ne plus retrouver 

Le moindre signe d’un chemin


À tourner en rond 

Sous un soleil de plomb

Sans jamais savoir

Quelle direction


Oppressante surface opaline

Sur laquelle l’homme 

À sa perte


Cette vie au point mort

S’étend sur une centaine de kilomètres


Comment l’imaginer 

Remplie d’eau

À la saison des pluies


À l’instant

Où je la découvre


Juste un endroit pour périr



(...)



22 octobre 2012 - Région d’Opuwo - Village Himba


Etrange découverte que ce village Himba

Où seules les femmes 

Entourées d’enfants 

Nous accueillent


Queen Elizabeth fait les présentations


Tous me sourient

Le rituel 

Etabli


Je suis celle qui apporte les victuailles

Celle avec qui il faut jouer le jeu


Maisons de terre aux toits de bois

Maisons de bois aux toits de terre

Maisons de terre aux toits de taule


Toutes semblent posées 

Solitaires

À même la terre

 

Sous les auvents de bois

Les femmes et les enfants 

Sont là

Hors de portée des rayons du soleil 


Leur présence collégiale 

Me fait penser

À un accueil prémédité


Il n’en est rien


Leur rassemblement

Naturel

Habituel


Queen Elizabeth me dit

Que le village est composé 

D’une seule et même famille Himba 

Qui partage son espace 

Avec une autre famille 

Venue elle 

D’Angola

Les Ovakaonas


Leur peau est plus noire

Elle n’a pas la couleur de la terre

Mais la beauté magique de l’ébène


Douceur lumineuse

Discrète


Les corps sont ornés de bijoux 

De tissus 


Les couleurs se répondent 


Contraste

Envoûtant


Harmonie

Sibylline


Les enfants silencieux 

Omniprésents

S’enchevêtrent dans un mimétisme touchant

Aux corps des femmes

Qui sous les auvents 



(...)



(...)



La femme veut me faire goûter

La saveur de leur histoire

Sur ma peau 


Est-ce un piège à touriste 

Ou un besoin d’enseigner 

La force d’un secret

Sans jamais le donner


J’hésite

Elle insiste


Sur ma peau blanche 

S’étale une poudre marron

Proche de la rouille


Elle ressemble à une crème teintée

Comme si mon bras maquillé


Ce coin de peau

La trace d’un ailleurs 

Qui à l’intérieur


Un accueil


Peu à peu

La palette d’un peintre

Sur mes chairs

Y raconte

Tout ce que l’art

Et l’histoire


Je deviens toile

Sa main pinceau


Cette couleur

Sans éclat 

Sur moi 


Il faut avoir le pigment 

Pour porter ce type de vêtement


Je me sens si terne

À leurs côtés


Sa main s’approche de mon visage

Elle semble en avoir fini

Avec mon bras 


Je préfère 

Arrêter là


Aussitôt

Elle comprend


D’instinct

Je sors de mon sac mon carnet

Et lui demande d’enduire 

Une page blanche

À la place de mon visage


Elle n’ose pas

Je m’obstine


Elle finit par caresser 

La feuille du carnet

Avec ses doigts huilés

Aux couleurs de leurs peaux


Le résultat 

Transcende mes espérances


Un simple mouvement de sa main

Et une trace millénaire 

Sur ma page vierge 


Les couleurs sèchent

Des visages apparaissent


Les âmes annexent 

Inopinément

Cet espace blanc 


Sa main ancestrale 

Y a déposé   

Ce que les anciens cherchent à dire


Sur ma peau 

L’onguent est muet

Sur la page blanche 

Il en dit tant 



(...)



Extraits - journée du 30 octobre 2012 – Dernier soir à Windhoek

 


(...)

 


Ce soir

C’est mon dernier soir

 

De la terrasse où je me trouve

L’Afrique m’offre un spectacle

Epoustouflant

 

Le ciel est en feu

 

(...)

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