Sendai, mon amour

Résumé du roman - Sendai, mon amour

adaptation de la version verticale "Elles"


Pour une raison mystérieuse, une femme décide de prendre le premier train. Un aller simple. Peu importe où il mène. Elle n’a pour tout bagage qu’un sac à main avec un paquet blanc à l’intérieur.


Une autre femme, pour des raisons tout aussi mystérieuses, se retrouve seule dans un restaurant. Son téléphone sonne. Elle laisse sans réponse les nombreux messages que lui envoie l’homme qu’elle aime. 


Sur la banquette où elle est assise, elle découvre un carnet abandonné. Qu’y a-t-il sur ces pages pour qu’elles éveillent en elles les souvenirs d’un passé enfoui ? 

Ces deux destins sont-ils liés ? 


L’inattendu et ses forces vives fissurent les fondations des amours les plus sûrs. Avoir vécu auprès de l’être aimé, à l’imaginer là où il n’a jamais été. 



Il suffit d’un tsunami pour que tout bascule. 

Il suffit d’avoir retrouvé celui que l’on a tant attendu pour que s’éveille l’ombre d’un doute.


Fukushima, les fantômes des hibakushas, l’ombre d’Ophélie, l'amour qui unit ou sépare sur des malentendus, ce roman « intérieur » parle de tout cela.




Divers extraits du roman - Sendai, mon amour


Elle referma la porte de son appartement. Tout était parfaitement en ordre. Ne rien laisser derrière soi qui puisse donner une impression de chaos. On ne sait jamais qui ouvre les portes que l’on referme.


Derrière cette porte…Les traces d’une vie consommée. Des objets, excessivement bien rangés, racontaient des monticules d’histoires. Offrandes des pays traversés, tous avaient trouvé refuge dans la quiétude de sa demeure. À faire croire qu’ils étaient nés là. 


La plupart des murs étaient recouverts de livres. Les immenses étagères qui s’étiraient jusqu’à la lisière du plafond avaient depuis longtemps fait oublier la véritable couleur des murs fondateurs.


Les nombreuses années où elle avait vécu là, elle avait aimé s’enfermer dans toutes ces pages ; s’efforçant de redonner vie à chacun de ces mondes le temps d’une promenade silencieuse. 


Aujourd’hui une force la poussait à sortir définitivement de toutes ces pages. 


La clé qu’elle serrait entre ses doigts tourna opiniâtrement dans la serrure. Un bruit volontaire emplit le palier. Un tour d’écrou. La grande porte de bois grenat…Une forteresse qu’elle refermait pour toujours. Elle n’emportait rien. Elle n’avait pour bagage qu’un grand linceul blanc qu’elle avait secrètement replié en elle-même ; animée par cette seule volonté qui la poussait hors de ces murs. 


L’ascenseur arriva. Il n’y avait personne. Elle en fut soulagée. Le miroir du fond, habituellement si accueillant, dessinait l’ombre d’une silhouette. Celle qui partait n’était-elle donc que cela ? 


Au rez-de-chaussée, la lumière du jour lui fit plisser les yeux. Elle passa devant les boîtes aux lettres. Il y avait peut-être du courrier. Son regard glissa sur son nom. Sans s’arrêter, elle traversa le grand hall. À l’instant où sa main poussa la porte vitrée qui s’ouvrait sur l’extérieur, elle eut l’impression étrange de traverser un nuage. Un nuage qui laissa une infime goutte de lait sur sa peau comme dans certains rêves qui habitaient son sommeil. 


Elle s’accrocha à ce nuage. À cette goutte de lait. Et soudainement elle entendit une petite voix lui murmurer : « Noli me tangere. Nos mains déchiquetées. Douleur à fleur de peau. Refermer une porte et l’on s’imagine que rouillent les souvenirs. »


Sur le trottoir elle resta un temps incertain entre deux mondes. Elle finit par revenir. Et d’un geste preste, elle rajusta une mèche de ses cheveux qui retombait sur son front ; balayant ainsi cette pensée venue d’un profond lointain. 


Ce fut à ce moment qu’elle vit apparaître l’ombre blanche de son taxi. Cette présence lui redonna la force du réel. Elle s’engouffra dans le véhicule et fut presque étonnée d’entendre des sons sortir de sa bouche.


- La gare la plus proche, s’il vous plait. 

- Laquelle, madame ?

- La plus proche.


L’homme resta un instant dubitatif. Il ajusta son rétroviseur pour mieux voir cet étrange voyageur et démarra son véhicule. Comme s’il ne supportait pas son silence, il se mit à fredonner un air d’autrefois. 


Des souvenirs arrivèrent jusqu’à elle. Une musique. Un banc. Une nuée de petits moucherons qui virevoltaient en rond. 


L’enfance…si lointaine. 


Elle lui demanda d’arrêter le véhicule. Elle continuerait à pied. Au prochain carrefour, il y avait une gare. 


Prendre le premier train. Aller au bout de la ligne. Peu lui importait la ville. Les décors ne changent rien. Elle le savait bien. C’était pour cela que partir pouvait cette fois réussir. 


Elle n’aimait pas les gares. Suivre la ligne. Juste la ligne. 


Le petit sac qu’elle portait au bout de son bras ballant était léger. Comme ses pas qui effleuraient le bitume. Il y avait tant de traces sur le sol de cette gare. Tant d’histoires racontées sur ces pages goudronnées. Infime pellicule qui recouvre à murmurer au passant tout ce que la nuit des temps. 


Au guichet elle demanda quand partait le prochain train. Peu lui importait l’endroit. On la regarda avec étonnement. Une fois le billet vendu, l’employé eut du mal à détacher son regard de cette silhouette fantomatique. 


Elle s’arrêta pour composter son aller simple. Une vie traversée pour arriver sur le siège de ce TGV !


Le train roulait à vive allure. Le paysage défilait à contresens. Ce mouvement semblait vouloir la ramener. S’éteindre n’était pas si simple. 


Le wagon était presque vide. Elle aurait pu changer de place, se retrouver dans le bon sens. Elle resta sur son siège. 


(...)


Anne referma le carnet. Un claquement de porte.


Qui avait pu laisser pareils mots sur la banquette de ce restaurant ? Un petit paquet blanc qu’elle avait fini par ouvrir. Pourquoi ce geste-là ? Elle n’avait jamais fait ça !


Était-ce son départ inopiné qui l’encourageait à poursuivre sur cette voie de l’inattendu ? À lui faire faire des gestes qu’elle trouvait incongrus mais qu’elle accomplissait néanmoins ; comme quitter précipitamment cette maison qu’elle et Johannes avaient louée pour quelques jours dans la région. 


Partie sans le prévenir pour aller déjeuner seule à la table de ce restaurant, alors qu’elle n’avait pas faim. Ce carnet abandonné lui donnait la troublante impression d’être l’écho de son acte insensé. 


Se retrouver seule le temps d’une escapade. Inhabituelle échappatoire. Juste un besoin de tenter d’entrevoir ce qui depuis quelques temps s’immisçait insidieusement en elle… Une ombre planant sur leur couple. 


C’était la première fois depuis qu’elle vivait à ses côtés. Elle qui avait tant œuvré pour atteindre ce palier. 


Il avait résisté. Cela avait duré. Des années de larmes sans rompre ce charme qui attire vers cette douleur qui porte les traits trompeurs d’un amour unique. Cette pierre philosophale des chairs que l’on traverse comme un mystère qui nous attire tel un trou noir. Certitude d’y entrevoir une lumière particulière qui nous redonne. Même s’il n’est pas aisé de partager un homme avec une femme. Une femme dont on ne sait rien, hormis qu’elle a perdu en chemin quelque chose qui a fait que cet homme a eu besoin d’un autre corps. 


Et cette peau nouvelle, il l’avait trouvée en elle. Énergie d’une source dans laquelle s’éveillent les désirs éteints. À finir par retrouver la voie du cœur. Mais vers qui va réellement ce cœur ? 


Une fois rassasié ce même homme s’en retournait vers cette vie familière. À faire de lui non plus un amant mais un enfant qui retrouve la sécurité rassurante d’un foyer. Qu’ont fait les mères pour que les hommes finissent ainsi ? Et nous ? Quelle cécité nous a foudroyées pour que l’on continue à aimer ces hommes-là ? 


Ces hommes qui finissent par avouer qu’il est difficile de tout quitter pour une peau. Même si elle touche le cœur. Ce cœur qui a retrouvé ces battements d’autrefois. Mais ça ne suffit pas.


Non…On ne quitte pas tout pour quelques battements. Tout ? Ça voulait dire quoi ? Eh bien…Toutes ces choses qui furent bâties en commun. Difficile de tout laisser…Même si. Ah ! Des choses ! Simplement…des choses. Mais alors que fais-tu là dans ces bras ? Dans ces bras où il n’y a aucune de toutes ces choses ? 


(...)


Je marche seule dans la rue

Ma robe est froissée

Un nouveau jour se lève 

Et je me demande 

Pourquoi j’arrête la vie là où je pourrais l’atteindre

Que je la désire là où elle s’éteint

Et m’obstine à l’attendre

Où elle ne peut éclore


(...)


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