Tous droits réservés | Michèle Gautard
Notes cinématographiques - une sélection de quelques films - année 2023
« Babylon » de Damien Chazelle
Un film difficile à défendre et pourtant… Il y a des moments où certaines scènes fonctionnent et sont même très réussies. Sur une durée de 3h09 ont fini par retrouver la beauté et la force du cinéma. Mais quand Hollywood se raconte, le miroir se brise et l'on est affligé par ce qu'il peut y avoir de meilleur (sur un temps court) et de pire (sur un temps long) dans cet écran-miroir.
Si le cinéaste tente indéniablement de rendre un hommage à ce 7ème art qui le fascine, il s'embourbe dans la répétition de scènes indigestes, grotesques, qui s’éternisent, se répètent à l’envi, voire à l’ennui, et gâchent ce qui précède et qui aurait pu être un beau moment de cinéma en son montage final. Mais nous assistons à un patchwork d’images chaotiques, indigestes où l’on cherche en vain ce fil raccordant une narration.
Des scènes répétitives sortant d’une corne d’abondance ; un peu comme si le cinéaste s'étonnait lui-même de son audace ou... de son budget !
Et pourtant, il y a des moments où l’on est prêt à y croire, jusqu’à la scène suivante qui gâche tout. L'excès, le grotesque, l'histoire du cinéma racontée avec ses enchantements (rares) et ses drames (auxquels on a du mal à croire) sont des fondus au noir qui inondent notre esprit et nous empêchent de recevoir la lumière à laquelle on veut nous faire croire. Dommage ! Dommage !
« Nostalgia » de Mario Martone
À tous ceux qui n'ont pas encore vu cette petite merveille, je vous recommande vivement de ne pas la laisser passer.
"Nostalgia" est une oeuvre où les frontières de la grâce et de la violence se diluent dans la "nostalgie" et la dualité d'un temps qui semble en apparence révolu. Mais rien n'est jamais véritablement révolu ; même lorsque l'on reprend racine et espoir. Ce film est d'une magnifique noirceur lumineuse.
« Tár » de Todd Field
Époustouflante interprétation de Cate Blanchett dans ce très beau film de Todd Field qui nous entraîne dans la puissance d’une partition au génie destructeur.
La bande son et la caméra de Todd Field font corps dans un sublime alliage avec celui de Lydia Tár (Cate Blanchett), cheffe d’orchestre de génie, qui se donne corps et âme pour parvenir à la perfection de la symphonie n°5 de Gustav Mahler. Une œuvre qui va la conduire à une situation irréversible.
Pendant cette traversée, où la perfection est la voie empruntée dans une toute-puissance qui aveugle, ce voyage « initiatique » nous révèle un corps qui devient une note, un silence, le mouvement même de l’écriture de l’œuvre qu’il dirige.
Ce film est un très bel hommage rendu à Bach, mais surtout à Mahler dont la partition devient un personnage qui va finir par faire écran entre le maestro et les musiciens. Ce film est aussi un hymne à la création dans ce qu’elle peut avoir de meilleur ou de pire.
Scène magnifique que celle où Lydia Tár enseigne l’âme universelle de la musique à de jeunes futurs chefs d’orchestre ; les incitant par une dialectique sans concession, à l’art des sens dans un « corps à corps » sensoriel avec l’œuvre musicale qu’ils doivent interpréter.
Face au « formatage woke » de l’un d’eux, elle rappelle dans une éblouissante prestation que Bach, remis en question par ce jeune étudiant pour des raisons identitaires, demeure quoi qu’il en pense, cet incontestable génie d’une œuvre universelle qui s’élève bien au-delà de ses considérations identitaires. Seule les œuvres perdureront.
Mais quand les mondes et les époques se heurtent, les forces de pouvoir se révèlent d’une même nocivité, quel que soit le camp. Et la lumière d’un génie s’altère à devenir cette fausse note de la toute-puissance qui ne peut conduire qu’à la chute.
Ce qui porte le génie vers la gloire, l’emporte avec la même force vers sa chute, s’il ne sait plus discerner les mondes et perd le sens de l’humanité.
Mais quels que soient les épreuves et les temps traversés, demeure au final l’essence de cet art universel qui anime et maintient en vie, quelle que soit cette vie.
« La femme de Tchaïkovski » de Kirill Serebrennikov
Le nouveau film de Kirill Serebrennikov est d’une beauté cinématographique indéniable. Quelques plans séquences « à la russe », où plane l’ombre consciente ou inconsciente de Sokourov, nous entraînent sporadiquement dans de courtes valses étourdissantes. Certains plans du film renvoient aux tableaux du peintre danois Vilhelm Hammershoi et à cette atmosphère puritaine et austère que savait si bien décrire son compatriote, le cinéaste Carl Theodor Dreyer. Mais cette fois, les scènes sont en couleur et les corps dénudés.
L’image est recouverte d’un voile vert mortuaire (couleur dominante) et la scène de rêve est magnifique. Autre scène sublime, celle où la virginité donnée par « dépit », devient une main ensanglantée caressant les touches du piano. Tout est là. Tout est dit. Une pause qui redonne un nouveau souffle. Un souffle de courte durée car la femme blessée poursuit sans relâche son acharnement vampirique, à vouloir « imposer » en vain et dans le déni son amour obsessionnel, là où jamais il ne pourra éclore, au cœur de cet univers masculin porteur d’une sensualité qu’elle n’aura jamais.
En suivant volontairement la partition récurrente de ce personnage féminin, le scénario en devient presque trop linéaire, voire monocorde.
Ce film a la même ambiguïté déconcertante que l’œuvre de Mishima « Les amours interdites » dont l’intelligence et la subtilité font qu’une femme, lectrice ou spectatrice, dépasse tout ce qu’il y a à dépasser, à commencer par cette dérangeante vision antinomique d'elle-même.
« The Fabelmans » de Steven Spielberg
Quand le cinéma révèle ce que dissimule le réel, la pellicule devient un baume qui estompe la douleur. Les pages de ce carnet intime sont un magnifique voyage au cœur de l'enfance ; là où les rêves prennent racine et auxquels il ne faut jamais renoncer. "The fabelmans" est un chef-d’œuvre qui nous murmure la douceur d'un grand amour... celui du 7ème art.